Sur la route du modèle finlandais

Neuf jeunes de la maison de jeunes Chicago, située dans un quartier populaire de Bruxelles, sont partis voir comment le système éducatif finlandais fonctionnait... 

Les jeunes ont rencontré des spécialistes de l’enseignement, des syndicalistes et des étudiants et ont séjourné quatre jours dans une école finlandaise. La délégation était composée de neuf jeunes de la maison de jeunes Chicago (D’Broej), en plein cœur de Bruxelles, ouverte aux jeunes des quartiers populaires.

Ces jeunes vivent souvent de très près l’inégalité qui règne dans les écoles bruxelloises. Depuis trois ans, ils travaillent autour de cette problématique de l’enseignement et il fallait qu’ils aillent voir de près le très réputé système finlandais. Avec l’aide du projet « Youth in action - Érasmus+ », ce voyage d’étude leur a été rendu possible.  

















L’enseignement en Finlande est cité en exemple. Se rendre à l’école est entièrement gratuit, il n’existe pas d’écoles élitistes par opposition aux écoles ghettos et les élèves d’origines sociales différentes ont les mêmes possibilités. Et, surtout, dans les écoles finlandaises, on ne redouble (quasiment) jamais. Aussi, depuis des années, la Finlande figure-t-elle dans le Top-3 des études internationales PISA, qui comparent l’enseignement dans le monde entier. 

Le même programme pour tout le monde jusqu’à 15 ans
Quel est ce système qui permet aux écoles finlandaises d’obtenir ces bons résultats, alors que l’enseignement belge ne parvient pas à donner les mêmes chances aux élèves d’origine pauvre (et d’origine immigrée) qu’à ceux de milieux plus favorisés ?  

Un ingrédient essentiel du succès de l’enseignement finlandais est le tronc commun (ou comprehensive school, enseignement complet). De 7 à 15 ans, tout le monde suit le même programme. Personne ne doit choisir entre latin, maths, sciences humaines. Au programme, il y a des maths et des langues, mais aussi le travail du bois et des cours de cuisine et de ménage. Lors de notre visite, nous avons rencontré Monsieur Eero, un accompagnateur d’une école à l’Est d’Helsinki : « Avec le tronc commun, tout le monde reçoit jusqu’à l’âge de 15 ans une éducation multiple qui garde intactes toutes les possibilités pour l’avenir. Ce n’est qu’à 16 ans que nos élèves doivent choisir ce qu’ils voudront faire de leur vie. Personnellement, j’estime que 16 ans, c’est même parfois trop jeune encore pour faire un choix de cette importance. » 

Ce tronc commun fait en sorte que les très bons élèves en Finlande sont aussi bons qu’ailleurs dans le monde, alors que le niveau des élèves « plus faibles » est nettement plus élevé ici qu’en Belgique. « Une école finlandaise estime qu’il est de son devoir de faire réussir tout le monde. Je compare cela avec le football : en tant que prof, vous êtes l’entraîneur de votre équipe. Quand un joueur de votre équipe échoue, il y va de la responsabilité de l’entraîneur », explique Monsieur Eero.

Un taux de redoublement de 0,5 % 
À Helsinki-Est, nous avons visité la Kallahti Comprehensive School. Cette école de 512 élèves se trouve dans un quartier à forte concentration immigrée. L’an dernier, dans cette école, un seul élève a redoublé son année, et encore, parce que ses parents l’ont exigé. Le directeur nous a raconté qu’il avait été déçu parce que « redoubler une année tue la motivation de l’élève. Nous essayons maintenant de convaincre les parents de permettre à nouveau à leur enfant de retrouver son groupe. » 

Pour faire réussir tous les élèves, l’école dispose de six enseignants supplémentaires pour les élèves « ayant des besoins particuliers » (ne dites pas : « des élèves plus faibles »). Ces enseignants ne sont pas en classe en permanence, on fait appel à eux séparément, quand c’est nécessaire. Certains élèves reçoivent quelques cours particuliers en maths ou, parfois, ces enseignants particuliers viennent dépanner une classe quand il y a un problème de groupe. Un psychologue est également présent à l’école, de même qu’un assistant social. Cette équipe de six professionnels est toujours nettement moins chère que ce que coûte le fait de faire redoubler la moitié des élèves, comme c’est le cas en Belgique.
 

Concertation des enseignants
Chaque semaine, l’équipe des besoins particuliers organise une concertation avec le directeur et les enseignants réguliers. Ensemble, ils voient quels sont les élèves qui ont besoin d’aide. Un élève sur cinq est ainsi aidé, au cours de sa carrière scolaire, et cela se passe autant que possible à l’école même. Les devoirs à domicile, hors des murs de l’école, ça n’existe pas, en Finlande. Le résultat de cette politique, c’est que 0,5 % à peine des élèves en Finlande ont un jour redoublé, contre 47 % à Bruxelles (pourcentage de jeunes qui, à 15 ans, ont recommencé une année au moins). 

Transport et repas chaud gratuits
« Est-ce vraiment entièrement gratuit ? » était la question la plus posée par notre délégation en Finlande.
L’enseignement finlandais est absolument gratuit depuis le jardin d’enfant jusqu’à l’enseignement moyen. Il n’y a pas de frais d’inscription et tous les manuels et autre matériel sont absolument gratuits. Il n’y a pas de facture maximale ni même de facture du tout pour les crèches. Dans l’enseignement supérieur, il n’y a pas de minerval, mais vous devez parfois payer les livres (toutefois, vous pouvez demander une bourse, pour cela).

Hanna Laakso, de la Commission nationale de l’Éducation nous explique : « L’enseignement gratuit garantit la démocratie du fait que les enfants de toute origine sociale bénéficient des mêmes possibilités d’accès à l’enseignement. En outre, les élèves reçoivent également le soutien nécessaire à l’école, de sorte que personne ne doit faire appel à des cours particuliers après les heures de classe ou ne doit payer un psychologue ou un logopède – souvent très chers. » 

« Chaque midi, tous les enfants et élèves – ainsi que le personnel – reçoivent gratuitement un repas chaud à l’école. En recevant une nourriture saine et gratuite, les enfants des familles pauvres ont également la possibilité de garder un corps en bonne santé, ce qui est un atout de plus pour bien étudier. » De même, le transport public vers l’école est gratuit (à partir d’une distance de 5 km entre l’école et le domicile). Les soucis d’argent ne jouent donc aucun rôle dans le processus d’apprentissage. 

Les questions fréquemment posées

- Il y a moins d’immigrés en Finlande. Leur système n’est pas possible en Belgique. 
La Finlande compte une population immigrée de 3,6 %, contre environ 9 % en Belgique. Les études PISA montrent toutefois que les résultats scolaires sont surtout influencés par le contexte social et, en second lieu, par le contexte de l’immigration. La Finlande investit beaucoup dans l’accompagnement extra-scolaire à la mesure des élèves considérés individuellement. Ce genre de soutien supplémentaire est possible partout et nécessaire, et en Belgique sans doute bien plus encore qu’en Finlande. 

- Tout cela coûte très cher, donc, ce n’est pas possible en Belgique
En 2000, la Finlande consacrait 6,5 % de son PNB à l’enseignement, contre 6,4 % en Belgique. La Finlande a un seul réseau d’enseignement et un seul ministre de l’Enseignement et elle peut épargner gros, via des achats communs. Les enseignants n’y gagnent pas beaucoup plus que chez nous. Mais on investit toutefois dans des infrastructures convenables et dans la formation des enseignants (qui ont tous un diplôme de maîtrise, c’est-à-dire du niveau d’une licence chez nous). 

- En raison de la « base commune », les meilleurs élèves ont de moins bonnes prestations que les nôtres (l’élite est en danger).  
Les meilleurs élèves en Finlande sont aussi bons que les meilleurs élèves belges. Cela signifie que les bons élèves le restent. Les études PISA montrent que les élèves finlandais d’origine sociale plus pauvre (et les immigrés) obtiennent de meilleurs résultats que dans les autres pays. Cela signifie aussi que l’enseignement finlandais parvient à réduire très fort l’inégalité dans l’enseignement (dans laquelle la Belgique est championne du monde). 

- Ce n’est pas applicable en Belgique, car la Finlande compte moins d’habitants.
La Finlande compte 5,4 millions d’habitants. C’est un peu moins qu’en Flandre, mais plus qu’en Wallonie. Il est donc parfaitement envisageable d’appliquer un tel système dans chaque partie de notre pays. 

- En Finlande, tout le monde parle le finnois. Chez nous, la langue est une donnée complexe.  
En Finlande, la plupart des élèves ont cours en finnois. Une petite partie des élèves se rendent dans des écoles où l’on donne les cours en suédois , la seconde langue nationale. Les immigrés qui débarquent en Finlande reçoivent pendant un an des cours intensifs de finnois, de sorte qu’ensuite, ils peuvent aller au cours dans une classe correspondant à leur âge. En même temps, les élèves reçoivent des cours de langue dans leur langue maternelle et ça se fait à l’école même, (de façon qu’ils ne doivent pas suivre des cours particuliers le samedi). Ils savent qu’une bonne connaissance de leur langue maternelle est un bon atout pour mieux apprendre le finnois aussi. 

Les jeunes témoignent

Mustapha Fatah: “Plus de points, moins d’heures d’école
« Les élèves en Finlande ne doivent pratiquement jamais redoubler. À Bruxelles, bien des élèves sont recalés. Je préférerais pourtant que quelqu’un vole ma bagnole plutôt que de devoir refaire une année ! Alors qu’à 15 ans, la moitié des élèves bruxellois ont déjà dû redoubler au moins une fois, ils ne sont que 0,5 %, en Finlande. Là-bas, ils ont compris que redoubler était très mauvais pour la motivation des élèves, que cela n’aboutissait pas à de meilleurs résultats et que cela coûtait bien trop cher. 
Ce qui m’a surpris tout de suite, c’est que les élèves finlandais aiment vraiment bien aller à l’école. Les pauses entre les cours durent par exemple bien plus longtemps que chez nous. De la sorte, les élèves ne doivent pas courir nerveusement d’un local à l’autre et ils ont plus de temps pour digérer ce qu’ils viennent d’apprendre. Les élèves ont moins d’heures de cours qu’en Belgique : les enfants de 7 ans n’ont que 19 heures de cours par semaine. Après le repas de midi, ils peuvent quasiment rentrer à la maison. Le nombre d’heures augmente pour atteindre 30 heures par semaine pour les élèves de 15 ans. Les élèves finlandais ont donc non seulement de meilleures notes que le reste du monde, mais ils doivent faire moins d’heures à l’école pour y arriver. » 

Chiraz Graja:  “J’aurais mieux fait de naître en Finlande
« En regardant en arrière, j’aurais mieux fait de venir au monde en Finlande. Je n’aurais pas dû redoubler en primaire. J’étais une “élève difficile”, en effet. Je ne pouvais pas rester calme et j’étais toujours en train de dessiner. Il faut dire que j’aime ça. En Finlande, nous avons vu que, pour les élèves dans mon genre, il y avait un meilleur encadrement et, ainsi, on tient compte de tous les élèves et on cherche une solution. 
Puisque la Finlande a un programme commun jusqu’à l’âge de 15 ans, chacun peut se familiariser avec toutes les disciplines : de la science à la cuisine, l’art et la musique. Personne n’est largué dans le technique ou le professionnel avant 15 ans, car ça n’existe tout simplement pas.
Chez nous, en Belgique, c’est différent. Ce n’est que lorsqu’une famille a les moyens suffisants qu’elle peut assurer un accompagnement et un soutien supplémentaires : accompagnement des devoirs, sport... Les pauvres doivent tirer leur plan. Le mélange social dans les écoles ou le fameux “décret mixité” : je n’en vois pas grand-chose dans les écoles bruxelloises. C’est un peu comme dans le logement social où j’habite. On y voit toutes sortes de gens, des Portugais, des Albanais, des Congolais. Mais riches et pauvres ensemble, ça, on ne le voit pas. » 
 

Yasmina El Hadri: “Les pauvres ont autant de chances que les riches
« Si je pouvais seulement aller à l’école en Finlande ! Redoubler n’y existe pour ainsi pas. En Finlande, j’ai vu beaucoup d’encadrement supplémentaire pour les élèves qui en avaient besoin. De ce fait, les élèves sont bien plus motivés. À Bruxelles, les profs disent déjà en décembre, parfois que “vous allez sûrement devoir recommencer votre année en juin.” En Belgique, même des élèves du primaire doivent redoubler, et je trouve ça très exagéré. Bien de ces bisseurs à Bruxelles sont des immigrés et des classes inférieures. C’est comme si le système nous avait laissé tomber. On nous sacrifie, et c’est dégoûtant.

L’enseignement en Finlande est entièrement gratuit. Les enfants des familles pauvres ont autant de chances que ceux des familles riches. Chez nous, en Belgique, chaque année, les parents doivent cracher plusieurs centaines d’euros pour les livres, les voyages scolaires, les photocopies... Il y a de grandes différences de prix entre les écoles, ce qui rend l’inégalité encore plus grande. 

Les élèves finlandais peuvent porter les vêtements qu’ils veulent, même le foulard. Le foulard n’est plus un problème, ils se rendent compte que ça fait partie de la personnalité. Et l’élève n’aura donc pas de mauvais points pour cela. Mais on ne peut pas porter de casquette à l’école, car ce n’est pas poli. »
 

Ismael Khajjou: “L’élève n’est pas le problème, mais il a un problème
« Dès que nous sommes arrivés en Finlande, nous avons été impressionnés par l’aide que tous les élèves peuvent recevoir. Leur devise est : “L’élève n’est pas le problème, mais il a un problème.” Le soutien complémentaire consiste en trois niveaux : général, intensif et individuel. Cet accompagnement est assuré par des profs qui ont reçu une formation en ce sens. D’abord, il apportera à l’élève une aide générale. Si le problème persiste, il passera à une aide plus intensive, par exemple, par des cours particuliers à l’école même. Ensuite, les élèves sont parfois aidés en petits groupes.

Nous avons également vu une classe YOPPO. C’est une classe avec cinq élèves seulement, mais deux enseignants. Il s’agissait d’élèves qui avaient décroché et qui étaient absolument démotivés. La prof nous a raconté qu’ils étaient quand même parvenus à donner un programme spécifique à ces élèves, ce qui fait qu’ils étaient quand même restés à l’école et qu’ils avaient pu être “récupérés”. Avec cet accompagnement très intensif, la plupart de ces élèves démotivés conservent malgré tout leur chance de pouvoir suivre une formation à l’université. »